Bien qu’il fut encore tôt, le parvis extérieur dégageait une oppressante obscurité causée par un amas de nuages à l’air sombre et semblant peu enclins à autre chose que cracher leur verve sur notre monde.
Ayant franchi l’entrée de l’édifice académique, je fus dardé des rayons émis par ces magnifiques néons disposés au plafond, s’alignant ou se croisant perpendiculairement selon une habile disposition en carrés plafonnés. Peut-être qu’en d’anciens temps, cet ensemble formait le terrain de jeux d’une partie de Dames géante?
Plusieurs étudiants me précédaient, passant les portiques destinés à éviter aux potentiels auteurs de larcins de dérober les précieux trésors du lieu. Bien qu’il ne bougea pas d’un millimètre le haut de son corps au passage de mes prédécesseurs, l’agent de sécurité, assis sur son tabouret, écouteurs dans les oreilles, leva instinctivement la tête à mon arrivée, bien qu’une dizaine de mètres nous sépara. Me mouvant d’un pas relativement silencieux, sans mouvement brusque ni aucune autre facétie, me voilà interpellé. En conséquence de quoi, je fus curieux de savoir ce qui fit lever en ma direction la tête de ce brave homme. Notez bien que j’emploie le mot « curieux », non pas « surpris » : je savais qu’il lèverait la tête. Mais j’ignorais la raison qui me le faisait savoir, tout comme j’ignorais sa raison à lui d’avoir ainsi réagi.
Réfléchissons-y un instant : peut-être avait-il « senti » la différence d’âge, de presque une décennie, me séparant des jeunes esprits entrant ici. Ou bien, mon apparence ainsi que mon habillement avait attiré, même du coin de l’œil, l’attention de cet agent décidément source d’un grand tumulte en moi. Mais abrégeons : nous sommes dans un monde où tout va de plus en plus vite, et je vous ennuie ici avec mes histoires d’agents de sécurité qui lèvent la tête, alors qu’à bien y réfléchir, quoi de plus suspect que quelqu’un qui entre dans une bibliothèque (à notre époque j’entends), qui plus est une « universitaire », qui plus est en n’ayant plus l’âge d’être un étudiant mais pas encore celui d’en instruire, qui plus est avec un sac de sport et un look ringard au milieu des étudiants sophistiqués de sciences humaines, qui plus est avec cet air louche du type qui ferait des phrases à rallonge avec des tournures très très bancales et incertaines si on lui en laissait l’occasion.
Après un passage rapide dans la section Droit (on eu pu dire une section droite, un droit de section, une section de droite, et bien que très proche en forme écrite, aucune de ces choses n’a de réelle rapport avec le terme prédécesseur ou successeur), je décidai de m’aventurer vers les étages supérieurs afin de découvrir, enfin, les niveaux dédiés à cette maîtresse discipline qu’est la psychologie (pour celles et ceux qui ne voudraient pas être déçu(e)s : je ne la trouvai pas, par conséquent, je ne vous retiens pas si vous désirez partir).
L’arrivée de ma personne au premier étage déclencha en celle-ci un torrents de questions : comment en était-on arrivé à créer ce type de bâtiment, et surtout, à ériger son organisation? La « logique » simple eu voulu que chaque étage corresponde à une discipline. Mais non, il y avait des passages secrets, des méandres, chacun menant à une sous-section. Sur ma gauche apparut la section dédiée à l’auto-apprentissage ainsi qu’aux échanges inter-disciplinaires (inutile d’écarquiller les yeux devant votre écran : je n’ai aucune idée de ce qui se cache derrière ce terme si ce n’est ce qu’il veut trivialement dire).
J’entrai aussi subrepticement que possible dans cette partie du bâtiment, mais les quelques éléments travailleurs tournèrent néanmoins leur regard intrigué vers moi, me faisant alors prendre conscience de mon pas lourd sur le lino grinçant. Ils étaient là, par centaines, tous ces ouvrages qui m’appelaient, promettant monts et merveilles, et connaissances sans fin.
Je m’esquivai et parti à l’assaut de la grande salle de cet étage. Constatant alors avec une immense surprise qu’un escalier, dissimulé entre deux étagères de livres, menait à une salle de travail supplémentaire à l’étage inférieur, je me postai tel un chat en contre-haut (est-ce français?) et toisai la foule de mon regard inquisiteur.
Ces jeunes têtes avides de connaissances et motivées au point d’écouler leur samedi après-midi à la BU me fascinaient. Néanmoins, devant leur écran d’ordinateur dernier cri, je ne pus m’empêcher de m’interroger sur le bien-fondé de l’efficacité d’un travail de révision, voire d’apprentissage, avec un tel outil. Oui, je vous le concède, on peut prendre note sur son ordinateur d’un cours magistral, oui, on peut également lire un contenu flavescent de pertinence sur la toile. Cependant, j’ai malheureusement le cruel sentiment qu’une partie non négligeable de ces têtes blondes est victime de l’effet « je suis sérieux car j’ai un costume ». Bref, je pense que vous avez saisi l’idée. Quittant mon perchoir d’observateur ni bien ni mal avisé, j’entrepris d’atteindre le niveau 3, oui, j’ai bien dit 3, de la bibliothèque.
Si jusqu’alors j’avais eu le sentiment d’être intrus en ces lieux, ce ressenti s’intensifia. En effet, les sources de lumière se faisant plus rares, il en émanait une impression de recherche de furtivité. De plus, chacun de mes pas, si léger soit-il, déposait dans le silence rythmé par les vibrations des néons une emprunte de claquement issu du contact de ma semelle et du lino ancien. L’exaltation dont j’avais sentie la montée progressive à la découverte de chaque nouveau refuge de livres atteignit alors son apogée : la prochaine salle était dissimulée au fond d’un long couloir sombre (je ne suis pas en train de faire une allégorie hein, donc les amateurs de théories freudiennes, rentrez dans le rang je vous prie). A chaque pas que je faisais, j’avais le sentiment d’être une sorte de démon entré dans un lieu où je n’avais pas ma place. Plus j’avançais, plus l’exaltation que je ressentais s’intensifiait, jusqu’à ce qu’enfin j’atteigne la lourde porte vitrée qui tenait close la troisième pièce. Je franchis la porte, et aperçus alors les nombreux et anciens ouvrages dédiés aux auteurs germaniques d’antan.
Je sentis l’excitation arriver à son comble : tous ces livres, dormant, que personne ne touchait. Toute ces connaissances, amassées là, dormantes, et n’attendant qu’une chose : leur révélation par un esprit curieux. J’étais le loup dans la bergerie, la créature prête à dévorer ce festin qui lui faisait face et n’avait ni jambe, ni patte pour s’enfuir.
Reprenant à peine mes esprits devant une jubilation quasi auto-suscitée, je vis alors les étudiants se lever peinardement et ranger leurs affaires : diantre, j’étais arrivé bien tard pour un samedi soir, et voilà que la bibliothèque me fermait ses portes.
Amusé de ma propre étourderie, je prie tranquillement le chemin de la sortie et regagnai la compagnie de mon cher destrier, auréolé de lueurs multicolores par l’abri bariolé du parvis.