Charlie et la Chocolaterie ou la Recette du Génie

Charlie et la Chocolaterie, ce film pour enfants (et pour adultes également) tiré de l’ouvrage éponyme de Roald Dahl, qui a tant marqué par sa féerie, ses chansons claironnées par les Oompa Loompas et son si excentrique Willy Wonka.
J’ai découvert tout d’abord la version de 1971, ce qui créa bien entendu un phénomène de comparaison lorsque je vis la version de T. Burton de 2005/2006. C’est de cette dernière que je parlerai dans cet article. Bien entendu, recommandations habituelles (pas les gestes barrière [AHAHAHAHA…..ah? Ça ne vous fait pas rire l’humour de mauvais goût?]) : si vous n’avez pas vu le film et ne désirez pas être spoilés (il a 15 ans le film les cocos, si vous ne l’avez pas vu, vous ne le verrez jamais :P), déguerpissez d’ici!

Avant-propos sur le Génie génial :

Une chose amusante est le décalage entre la croyance populaire et la vérité du génie. A mon sens, nous avons besoin d’idoles, de croyances, de mythes : des leaders,  des génies, des gens qui « accomplissent » de grandes choses, des choses à la limite du sur-humain. Aussi, nous donnons « facilement » dans le mythe, car c’est un concept dont notre esprit est friand : Napoléon, Einstein, Jeanne d’Arc, Alexandre le Grand etc. Or, il faut se rappeler d’une chose : il n’y a rien de magique. Ce qu’ont accompli ces personnes, nous n’en avons que le récit rapporté par l’histoire (écrite par les « vainqueurs » 😉 ), or si ces personnes l’ont fait, c’est que c’était du domaine du possible.
Et en ce qui concerne le génie, nous avons tendance à accorder une foi immense au côté « génie »‘ inné. Cette pensée a deux grands aspects séduisants :
-elle sous-entend une forme de magie, de mystère dans la grande création : certains êtres « exceptionnels » peuvent jaillir (et j’imagine que beaucoup de personnes s’adonnant à des tests de QI sur le net nourrissent en leur for intérieur l’idée que peut-être ils appartiennent à cette cohorte exceptionnelle. Ce qu’il y a de marrant, c’est que par définition de l’exceptionnel, il n’y a pas de cohorte de tels êtres, sinon, ce ne serait pas « exceptionnel »).
-le fait que si « nous n’y arrivons pas dans quelque chose », c’est sans doute que nous ne sommes pas nés avec l’intelligence/la prédisposition/la capacité qui le nécessitait.  Cette pensée a un côté déprimant et en même temps déresponsabilisant. Si vous connaissez l’effet golem ou l’effet Pygmalion (qu’on pourrait résumer respectivement en effet de prophétie auto-réalisatrice négative/positive), en un sens, « croire » à l’existence de capacité magique nous condamne à subir l’aspect golem de cet effet.

Il y a dans la réussite des « gens exceptionnels » une notion d’inné indéniable, mais sans doute plus en rapport avec les goûts qu’avec des capacités quasi divines ou une intelligence ouffissime. Des nombreuses lectures que j’ai pu faire sur la question, il ressort que si on se penche sur la vie de génie comme Mozart, Einstein et compagnie, on se rend compte que plus qu’un super génie qu’auraient ces personnes, il ressort un engouement « génial » qu’elles avaient pour leur discipline. Ce n’est pas forcément connu du grand public, mais Mozart avait pour père un des meilleurs professeurs de musique de l’époque, il a débuté très très jeune, et sa soif inexorable pour la musique ainsi qu’un bon contexte l’ont amené à être, vers l’âge de 20 ans, sans doute un des humains (avec l’esprit et le cerveau allant avec) ayant pratiqué et côtoyé le plus la musique autant en terme de temps que de niveau. De même pour Einstein qui, lorsqu’il présenta sa théorie de la relativité, y avait consacré en pensée des années et des années.
Si la thématique vous intéresse, je vous encourage à lire « Atteindre l’excellence », de Robert Greene. Un ouvrage très instructif et dense sur la question, mettant bien en avant l’effet « cumulé » de la pratique délibérée dans une discipline (c’est pls ou moins l’idée que si vous consacrer, de manière assidue, 40H/semaine, pendant 20 ans, à un truc, en cherchant l’amélioration permanente, vous ne serez normalement pas trop dégueulasse à la fin 😀 ).

Comme je le disais : nous avons cette image du génie « magique » qui est ainsi né. Mais il est probable qu’en réalité il s’agisse davantage d’un goût génial pour une discipline, et c’est ce goût qui pousse la personne à tout « sacrifier à son art », ce qui la propulsera (ou pas) un jour au sommet. Et c’est là que je pense qu’il faut concentrer notre attention : la plupart des génies n’étaient pas des gens qui, à la façon de Sherlock, House etc fanfaronnaient en comprenant tout sur le monde et pour qui toute tache intellectuelle est du domaine du facile! Il s’agit davantage du cliché du ou de la génie reclus(e) dans son monde, avec des yeux emprunts de curiosité sur leur art, mais auquel la majorité des gens du monde ne voient pas l’intérêt. En résumé : le génie, obsédé par une idée, un concept, un domaine, qui fera ce que peu de personnes ont fait avant lui, mais ne sera reconnu(e) qu’après la démonstration de son « génie » faite (ce qui arrive souvent de manière posthume).

Pour faire un portrait de l’idée :
un génie est une personne avec un intérêt très fort pour un domaine. Cet intérêt n’aura d’autres intérêt que la chose même (donc pas l’argent, ni la reconnaissance des autres ou la renommée etc).  Ce qui fait que cette personne persévéra en dépit du manque de ressources, ou de moyens. Elle voudra toujours « en savoir plus » et donc s’améliorera en permanence, cherchera à toujours approfondir. Et la renommée ne l’intéressant pas intrinsèquement, elle se moquera d’envoyer chier la communauté des « spécialistes » de son domaine si elle juge que cette communauté fait fausse route dans l’actuel paradigme. Un bon exemple de cela est le mathématicien russe Perelman qui démontra l’un des 7 problèmes du millénaires : il refusa la médaille Fields (équivalent pour les maths du prix Nobel) et le prix de un million de dollars offert pour la résolution de ce problème. La seule chose lui important est que l’on sache que la démonstration était juste et que la problème avait-été résolu.
En outre, la réalité de cette « obsession » pour un domaine condamne le génie à une forme de solitude : peu de personne partageant cette dévorante envie, ce questionnement sans fin.
De plus, ce « don » va souvent de paire avec des aspects négatifs : Fischer, un des plus grands maîtres d’échecs, était un putain de paranoïaque (la capacité à anticiper tous les coups ayant sans doute fortement entaché sa manière de voire la vie réelle).

En soi, ce qui fait le « génie » des génies est le fait qu’ils sont accaparés par la réalité de leur discipline et « seulement » par elle-même, et que c’est ce qui les motive en premier lieu, là où le commun des mortels aurait des considérations de…communs des mortels 😀

Et Willy Wonka dans tout ça?

Et oui : je vais maintenant raccrocher les wagons avec cette lonnnngue digression sur le génie ^^

La dévorante passion :

Ce que l’on apprend durant les flash-backs de l’existence de WW (pour Willy Wonka si vous ne suivez pas 😛 ), c’est que petit, lorsqu’il enfreigna l’interdiction de son dentiste de père de goûter aux bonbons, ce fut une révélation pour lui. Nous avons un premier élément du génie : la passion dévorante (ce qui fait un joli jeu de mots vu qu’ici il s’agit d’amour des bonbons et autres friandises ^^).

bonbons

La volonté de transcendance :

Lorsque WW raconte sa rencontre avec les Oompa Loompa, il explique qu’il était à la recherche de nouvelles saveurs (en plein milieu d’une jungle peu hospitalière et à l’évidence assez dangereuse vu le nombre de monstres qui semblent la peupler d’après le confiseur déjanté).

jungle

Il y a cette envie claire de toujours aller plus loin dans son art : trouver des saveurs inédites pour ses bonbons, et découvrir, de manière fortuite, autre chose. En l’occurrence, les Oompa Loompa, ce qui rappelle le chemin de nombreux génies : découvrir l’inattendu.
Là encore, une préconception du grand public est mise à mal : beaucoup aimeraient être des génies pour découvrir quelque chose de fondamentalement nouveau. Or, les « vrais génies » ne se lancent pas dans l’aventure pour cela initialement, mais juste parce que ça leur plaît, et c’est le hasard du domaine qui, parfois, les mènera à une réelle nouveauté (et certains le regrettent : dixit ci-dessous 😛 ).

max_planck

L’éternel enthousiasme :

Ce qui est très marrant, et sans doute exacerbé par le jeu de Johnny Depp, c’est la joie et l’énergie qui se dégage de lui lorsqu’il parle de ses idées, de ses projets et qu’il montre à ses visiteurs ce sur quoi il a travaille. Clairement, on voit transparaître une fois encore la passion pour l’art en lui-même.
Et ce qui est appréciable, c’est qu’en face, la majorité des convives [parents et enfants] (représentant le « commun » des mortels) ne réagit pas, ou réagit de manière morne en mode : « pourquoi il s’excite comme ça ce con? » Ou, a contrario, Charlie semble follement enjoué! (en soi, c’est grâce à cette partie de la population que des gens comme WW sont un jour reconnus comme des génies).

L’intérêt pour l’art en lui-même :

Une scène très instructive du film est celle durant laquelle les protagonistes sont dans l’ascenseur de verre, et ils traversent la salle des feux d’artifice.

fireworks

Le jeune Mike Teavee, technophile de folie, cherchant à toujours percer les mystères des choses afin de les hacker, pose une question simple sur la pièce dans laquelle les Oompa Loompa tirent avec des canons des nuées de feux d’artifice : pourquoi tout ce qui est ici est inutile? Ce à quoi Charlie répondra qu’un bonbon n’a pas besoin d’avoir de but, c’est pourquoi c’est un bonbon.
Cet échange est pour moi la meilleure représentation de ce qu’est le génie et pourquoi il est si incompris : l’amour et la passion d’une chose pour elle-même, et rien d’autre. Et la remarque de Mike Teavee représente à la perfection la majorité de la vision conformiste du monde opposée à celle de quelques illuminés qui, une fois la grandeur de leurs découvertes révélées, sont présentés en génies.

Choice of passion over anything else :

(Alors pourquoi j’ai foutu ça en anglais? J’imagine que c’est parce que mon cerveau trouve que la formulation anglaise est plus belle et plus parlante que la française :D).
Bien que Charlie soit présenté à l’issue du film comme le digne héritier de WW, il n’en est rien, et pour une raison simple : le choix que fait Charlie.
Je vous rafraîchis la mémoire : lorsque les autres enfants sont éliminés, WW explique à Charlie qu’il va lui léguer sa fabrique de chocolat et tout ce qu’il possède, à condition qu’il abandonne tout derrière lui (=en gros, sa famille si chère). Et Charlie refuse : VOILA une autre différence entre le commun des mortels et les génies : ce choix.
Alors comprenez-moi bien : il n’y a pas de jugement sur ce qu’il est bien de faire ou pas. Charlie choisit sa famille car il serait trop malheureux sans elle, et pour Willy, il serait trop malheureux sans son art : chacun des deux partis agit de la même manière : en privilégiant ce qui attise le plus son intérêt. Et cela, heureusement, ou malheureusement, vous ne le choisissez pas véritablement : les goûts et les couleurs ça ne se discutent pas (du moins, il ne me semble pas ^^ mais ce sujet est soumis à débat).

Cette épineuse question est clairement mise en avant par la thématique de l’histoire de Willy Wonka : un drame. Il a quitté son père pour s’adonner à sa passion, et on le comprend au cours du film, bien que la confiserie le rende heureux, il vit mal cette séparation, et c’est un des aspects non négligeables de l’existence des génies/personnes exceptionnelles : le sacrifice à leur art, sacrifice que WW consentira, contrairement à Charlie (la fin créant un consensus pour le plus grand bonheur de notre âme d’enfants). Cet aspect dramatique représente bien une des composantes du génie : sa solitude, qu’elle soit d’ordre inter-personnelle ou seulement intellectuelle.

Il y aurait largement de quoi continuer la liste, mais premièrement je n’en ai pas fait au moment où j’avais eu l’idée de cet article, et deuxièmement, je pense que c’est déjà assez parlant 😉 Je vous invite donc à me suivre vers la conclusion de cette expositions d’idées.

 

Le mot de la fin :

Une chose très appréciable du film de Burton est qu’il apporte une dimension supplémentaire par rapport à celui de 1971 : celle de l’enfance de Willy Wonka. En outre, cette version met encore plus en avant le fait que le génie n’a une dimension géniale que s’il y a quelqu’un pour la lui donner (ici : la famille de Charlie et lui-même), sinon, cela ne reste géniale que pour le génie lui-même.

La leçon que l’on doit retenir de cela est que vouloir être un génie ne vous mènera pas au génie, car les génies ne veulent pas l’être, ils veulent juste flirter de manière approfondi avec le domaine qui les attire. Aussi, rappelez-vous de questionner votre intérêt profond : est-ce la renommée, l’argent, l’admiration ou « l’art » lui-même qui vous attire?
Selon la réponse à cette question, il conviendra d’adopter des stratégies différentes, car si c’est par exemple l’argent, une fois devenu riche, votre intérêt pour la discipline pourrait bien s’effondrer, ou si c’est l’admiration de vos pairs, il se pourrait qu’une fois cette dernière acquise, vous cessiez de vous questionner sur les notions du domaine, ce qui, malheureusement, est un obstacle à l’éternelle amélioration requise pour dépasser les limites de la connaissance humaine dans le domaine.

 

Sur ces belles paroles, je vous laisse et vous dis à bientôt!!!!

H

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