Dr House, ou le Génie au cinéma

Considérant la quantité de personnes que j’ai bassinées avec notre praticien médical préféré (pas sûr que ce terme existe, mais qui s’en soucie?), je considère qu’il est temps que je m’attelle à l’écriture d’un article sur ce fantastique personnage qu’est Gregory House. Afin que cet article ne soit pas (uniquement) une apologie du personnage, je vais l’inclure dans un contexte un peu plus vaste, celui du Génie au cinéma. Comme d’habitude : si vous n’avez pas vu toute l’épopée du Dr House et que vous désirez ne pas être spoilés, je vous encourage à revenir plus tard lire cet article.

Les Génies au cinéma :

Que ce soit Malcolm dans la série de M6, Sherlock de la BBC, Matt Damon dans Good Will Hunting, les génies imaginaires ne manquent pas dans l’univers cinématographique. Seulement, il y a une chose qui m’a toujours chiffonné : c’est la manière dont est dépeinte l’intelligence prodigieuse qui caractérise ces génies. Bien que House ne soit pas l’incarnation parfaite de ce qu’est l’intelligence, il est néanmoins ce qui s’en rapproche  le plus en terme plus « réel ».

Passion et grande intelligence :

Un des clichés sur les génies est qu’ils sont polymathes : ils excellent dans tout ce qui fait appel au cerveau. Par exemple, si le héros est un génie, ils sera un fou des mathématiques tout en étant capable de reconnaître les notes d’une mélodie (oreille absolue) et de présenter une mémoire eidétique et bien entendu sera un prodigieux joueur d’échecs.

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Or cette vision néglige un aspect important des choses : les génies du monde réel sont souvent performants pour deux raisons : ils sont intelligents (cela rejoint les génies du cinéma) mais sans que ce soit magique et surtout, ils sont très attiré par le domaine dans lequel il excelle, ce qui explique d’ailleurs leur excellence, plus que leur « don » d’intellect. Ainsi, ils ne sont pas nécessairement bons dans tout, mais plutôt dans la ou les disciplines qui les intéresse(nt).
Prenons l »exemple d’Einstein : il était passionné de physique, et c’est après des années de réflexion sur les questions qui furent les siennes qu’il démontra du génie et non pas après 3 heures devant un tableau noir (on connaît tous ce cliché du petite génie qui, à 8 ans, corrige le prof ayant fait une faute dans une équation de topologie algébrique).
Or, House affiche cet aspect : il est passionné par les énigmes, qu’elles soient médicales (d’où sa passion pour son travail) ou personnelles (le fait qu’il bombarde son équipe et ses amis avec des questions sur leurs agissements et ce qu’ils ont fait la nuit dernière). Certes, House est très intelligent, mais c’est avant tout son attrait pour ces questionnements qui lui a fait cultiver son don : ce n’est pas magique.

Intelligence et performance :

Souvent, les génies du cinéma doivent faire des trucs tape à l’œil. Par exemple, résoudre une racine carrée d’un nombre gigantesque, retenir les 1000 premiers chiffres de Pi etc. Le problème, c’est que cette vision, bien que tape à l’œil comme je le disais, est très réductrice : si l’intelligence consistait à « performer » de cette manière, l’humanité aurait déjà atteint, pratiquement, l’intelligence ultime grâce notamment aux calculettes pour collégiens qui dépassent n’importe quel « génie » du calcul.
Bien entendu, des facultés de calcul et une mémoire très performante sont des ingrédients de l’intelligence. Mais ce qui fait la « grandeur » du génie humain, c’est surtout l’analyse et la mise en relation de ces informations. Et là encore, House est génial car à la fin de presque chaque épisode, on le voit avoir cet éclair dans les yeux (souvent en discussion avec son acolyte Wilson) : il a trouvé de quoi est atteint son patient, grâce à la mise en relation des infos recueillies durant l’épisode.

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VOILA : cet éclair de génie-là qu’on peut lire dans son regard

Ce faux semblant d’intelligence des génies du cinéma, le « j’ailaréponsedirect » est très gênant car il donne une idée très erronée de ce qu’est justement l’intelligence. Lorsque l’on contemple un film dans lequel il y a cette « magie », c’est certes impressionnant, cependant, cela n’a aucun sens : cela tient davantage d’un pouvoir magique que d’un processus cognitif.

Les passe-temps du génie :

C’est toujours assez amusant de voir les clichés sur l’intelligence. Par exemple, Sherlock Holmes qui, en plus de son génie, est passionné par le violon (vous me direz House lui c’est le piano et la guitare, mais normal, il est inspiré de Sherlock 😉 ). Ou bien le « génie » dans sa tour d’ivoire avec ses œuvres d’art et son piano. Alors oui, ça fait très « cool », cependant, il n’y a pas vraiment de raison que subitement, une personne, même intelligente, soit obsédée par des activités « éducatives ». Bien entendu, comprendre les choses plus vite que le commun des mortels permet d’accéder plus rapidement à un niveau de compétence qui, sans aucune doute, favorise l’intérêt pour certaines disciplines. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que cela rendra passionnant l’histoire de la Tchécoslovaquie au XXème siècle, ou l’art des chalets moscovites. Or, c’est plus ou moins ce qui caractérise pourtant ces génies du cinéma qui savent tout sur tout.

En cela, House est encore une fois bien écrit : il aime les feuilletons à l’eau rose bien débiles, les courses de monster trucks et joue très souvent à des jeux vidéos d’ado de 15 ans.

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Alors attention : je pense qu’une grande intelligence peut favoriser une certaine ouverture d’esprit, et donc de l’intérêt pour de nombreux domaines. Néanmoins, cela n’implique pas que l’on donnera cours à ces intérêts : on en aura un ou deux favoris, et c’est dans ceux-là que l’intelligence des génies se manifestera réellement.

Se servir de l’intelligence pour tout :

Un truc qui m’a toujours énormément posé problème avec les génies des films, c’est que lorsque c’est tape à l’oeil, ils sont capables d’exceller dans à peu près n’importe quoi, mais lorsque ça arrange le scénario, ils deviennent cons comme des chaies. L’exemple le plus évident qui me vient à l’esprit est celui du film 21/Las Vegas 21. Dans cette histoire, Ben Campbell, un jeune génie (en particulier des mathématiques, mais également de tout ce que la faculté peut receler de domaines) suit les cours d’un professeur de mathématiques. Voyant son don pour le comptage, son professeur de maths décide de le recruter : avec d’autres étudiants, ils vont jouer au blackjack à Las Vegas, la stratégie consistant à compter les cartes. A chaque voyage là-bas, le professeur redistribue une partie des gains à ses étudiants.
Bien entendu, arrive le moment où Ben et son prof se prennent la tête. Et là, ohhh grande surprise, Ben se fait voler son argent qu’il avait caché dans…….le double plafond de sa chambre d’étudiant -_-‘ Bon, en passant sur le fait que globalement, son intelligence est complètement générale (telle que présentée dans le film) il faut savoir qu’une des particularités des mathématiques est de considérer TOUS les cas de figures (c’est pour cela qu’existe cette vieille rancœur entre physiciens et mathématiciens : les premiers négligeant une partie des solutions mathématiques car elles ne collent pas au monde physique réel). Or, notre génie Ben, s’il est bel et bien un génie des maths, devrait instinctivement envisager toutes les situations. Et je dois avouer que sans être un génie, si vous savez que votre prof sait où est votre chambre d’étudiant, cela vous viendrait peut-être à l’esprit de ne pas y planquer votre magot. Bref….vous voyez l’idée : ce garçon calcule des trucs de fou, résout des problèmes de maths qui ont laissé pantois de grands mathématiciens, a une mémoire de folie, mais quand arrive le moment de réfléchir à « que faire de plusieurs milliers de dollars », ben il les planque sous son oreiller en gros 😀 C’est exactement comment cela qu’on écrit un mauvais personnage intelligent : un personnage qui est intelligent dans les moments où on souhaite qu’il le soit mais qui ne l’est plus dès que cela arrange le scénario.

A contrario, notre ami House, qui comprend tout très rapidement, se sert justement de ce don. Dans la saison 8, il a été destitué de pratiquement tout ce qu’il possédait dans les saisons précédentes au sein de l’hôpital : son bureau, sa salle de brainstorming, ses affaires etc. A plusieurs reprises, il tente de récupérer ce qui était à lui en tentant de faire chanter un riche patient ou de faire l’aumône à un autre riche, et très altruiste, malade qu’il traite.

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Au final, l’action du groupe industriel du patient que House avait essayé d’intimider s’effondre durant le passage de cet homme à l’hôpital. Comprenant cela, House achètera un grand nombre d’actions du groupe, qui, une fois son patient rétabli, reprendront de la valeur. Ainsi, House réussira à financer à nouveau son service de diagnostics. Ce qui est génial dans ce petit tour de passe-passe, c’est qu’au final il n’y a rien de si génial en soi dans les actions, prises séparément, qu’entreprend House pour ce plan : il comprend que si son patient va mal, ses actions chutent, et inversement, s’il va mieux, elles retrouveront leur valeur. House a besoin d’une mise de départ, donc il marchande des « bonnes actions » avec ses collègues pour qu’ils lui prêtent de l’argent, il « vole » à l’hôpital un appareil pour l’échanger à un prêteur sur gages jusqu’à ce qu’il ait touché le fric de son pari boursier. Aucune de ces actions n’est en soi celle d’un génie, mais c’est leur mise en commun qui l’est. Comme le dit House : il parie sur sa faculté à trouver ce dont son patient est atteint, car c’est de cela que dépendra le succès de son action boursière. Et c’est pour cela que House est une intelligence bien écrite : il ne sort pas un truc magique du chapeau du genre un calcul de folie ou une définition de merde qu’il aurait lu il y a 20 an sur un calendrier : il fait des PUTAINS de liens entre les choses, et c’est là l’essence de l’intelligence : relier les choses.

Les limites du modèle de House :

Comme je vous le disais précédemment, il est appréciable qu’House ait des passe-temps « pas très intellectuels » comme regarder des séries à l’eau de rose etc, cependant, il y a une limite à tout ça, en ce qui concerne justement sa manière de passer le temps. House est un excellent diagnosticien du fait de la combinaison de plusieurs facteurs :

  • il est très intelligent
  • il voit les choses assez « objectivement » car il se fout de la morale, du politiquement correct, ne se fait pas d’illusion sur la nature humaine (« tout le monde ment ») et il ne cherche pas à connaître les patients afin d’éviter de tomber dans l’affect
  • il connaît énormément de choses : tout d’abord en médecine interne, qui est la branche de la médecine traitant des maladies rares, mais de manière générale également car il connaît de nombreuses langues (mandarin, portugais, hindi etc), il a des connaissances en biologie (au cours d’un diagnostic, il fait montre de connaissances concernant les serpents venimeux assez impressionnantes) et évidemment, les connaissances qu’il a sur la nature humaine du fait de sa compréhension de notre histoire évolutive.
  • enfin : il est passionné par les énigmes, ce qui lui donne une hargne de résolution et de compréhension assez impressionnante

Peut-être avez-vous compris où je souhaite en venir? Si on considère le troisième point, celui des connaissances générales, RIEN dans la manière dont House se comporte durant les 8 saisons de la série ne permet de comprendre comment il connaît autant de choses. Quand bien même il aurait une mémoire excellente, on ne le voit pratiquement jamais s’adonner à de l’apprentissage, que ce soit par la lecture d’ouvrages de biologie, de langue ou autre, et c’est là sans doute ce qui est dommage, par rapport à conception « réaliste » du personnage. Faisons une petit digression.

Digression :

Il y a un phénomène que l’on rencontre souvent dans les histoires, c’est celui de la prouesse sans pratique. Dans les mangas, on rencontre cela sous la forme du vieux Maître de 80 ans qui, même sans s’être entraîné pendant 25 ans, surpasse sans même lâcher sa canne le jeune héros qui s’entraîne corps et âme depuis des années. Dans l’idée c’est assez facile à représenter : on se concentre sur une compétence, et l’un des personnage, sans pratique depuis longtemps, est cependant toujours très bon. Bien entendu ça a un côté impressionnant, mais dans la réalité ce n’est pas comme ça.
Si les grands maîtres d’échecs sont aussi prodigieux, si les grands musiciens sont aussi virtuoses, si les mathématiciens sont aussi impressionnants et si les athlètes sont aussi performants, c’est parce qu’ils ont bien sûr des prédispositions, mais surtout, parce qu’ils pratiquent depuis leur jeune âge (souvent dirons-nous) et en permanence. Bien sûr, si un grand maître des échecs s’arrête pendant 10 ans, il ne retombera pas à zéro, mais je doute que son niveau ne s’effondre pas 🙂
Fin de la digression

On se retrouve avec un problème multiple : House ne voyage pas, et ne semble pas très philanthrope, donc comment maîtrise-t-il autant de langues, autant en « connaissance » qu’en parler pur? (l’accentuation etc) Tel qu’il est décrit par un de ses anciens amis de fac, il n’était pas un élève très studieux, donc comment maîtrise-t-il autant les fondements médicaux de son « art »? (en plus de la connaissance, des pathologies, symptômes, traitements etc, House se révèle un bon praticien lorsqu’il réalise des actes médicaux, et également un excellent analyste des clichés de radio et autres examens médicaux, ce qui nécessairement, repose sur de la pratique)
Bref, ce qui me pose un problème, c’est qu’on a un héros qui passe son temps à s’amuser en jouant à la game boy, en piquant le repas de ses collègues le midi, en regardant des séries débiles sur les télé des patients dans le coma et à côté de ça, ce même héros a des connaissances quasi « divines » dans tous les domaines alors qu’il ne s’instruit jamais.

 

Conclusion :

Je ne sais pas l’effet qu’aura causé sur vous ce dernier point qui est plutôt négatif, mais sachez que je considère à l’heure actuelle House comme le génie de l’univers télévisuel le mieux décrit et constant dans son intelligence. Le reproche essentiel que je fais à ce type de personnage est qu’ils sont souvent performant dans certaines parties de l’intellect tape à l’œil, mais qu’en réalité, cela n’est absolument pas représentatif de la réalité cognitive d’une personne intelligente. En outre, comme dans l’exemple de Las Vegas 21, il est très horripilant de voir un personnage dont l’intelligence n’est active que lorsque cela arrange le scénario et le côté « bling bling » du génie. Ce qu’il y a de fantastique avec House, c’est que l’on voit l’évolution de sa pensée, et qu’elle n’est pas magique : il a besoin de ses collègues pour stimuler ses idées, pour l’aider dans son analyse des pourquoi/comment et c’est généralement grâce à une conversation qui n’a rien à voir avec le cas en cours qu’il finit par trouver la solution : exactement ce qu’est l’intelligence créatrice, c’est-à-dire reliant des choses qui a priori n’ont pas de liens, et subitement, en ont un instant, suscite le eurêka.

Je vous dis à bientôt,

 

H

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