Sans que tu erres

Comme à son habitude, le banc d’église grince gentiment en accueillant mon séant. La même sempiternelle question se pose : laisse-je mes pieds au sol ou les fais-je reposer sur le promontoire prévu à cet effet, mais inadapté à mes longues jambes?
Seule une dame d’un certain âge, peut-être de cinq années mon aînée, partage avec moi la quiétude du lieu. Elle est affairée aux pots décoratifs du lieu. Cela a un côté très amusant de voir le grandiose du lieu amoindri par cette petite dame franchissant la barrière de l’autel pour aller remettre en place les éléments ornementaux de la scène divine.
Je plonge mon regard en direction des saints incarnés par les centaines d’éléments de verrerie formant ces vitraux colorés. Mon esprit est comme dans une piscine de coton, relâché, calme, et là, dans le moment, dans un état de superposition introspective et contemplative.
Les souliers de la change-pot (entendez par là, la dame prenant soin des fleurs, et non celle changeant le pot de Dieu, cela serait un outrage, que dis-je, un blasphème!) sur le sol de l’église, provoquant de petits bruits réguliers, m’hypnotisent et me plongent plus encore dans une forme de transe que je ne saurais décrire par les mots.
Ma défunte femme n’aimait pas à me voir ainsi : elle voyait, à mon regard seul, que je m’extrayais de ce monde pour en habiter un autre, plus changeant, moins figé, et plus simple.
Je regarde amusé miss change-pot disparaître derrière l’imposant édifice de l’autel, pour rejaillir, d’abord annoncée par les tiges des plantes frétillantes, puis révélée une fois sa chaise-escabeau escaladée.
En admirant le calme processionnaire et respectueux avec lequel elle s’adonne à sa tache, je remarque que les chandelles, en forme d’anges brandissant une épée (qu’est la bougie), sont pour certaines cachées par les pots fraîchement installés. C’est simple, mais brillant, voir lumineux comme idée : les anges porteurs de la sainte lumière. Là où le nom de Lucifer prend véritablement tout son sens : le porteur de lumière. Mais je crois que je me répète dans ma diction mentale.
J’ai toujours fréquenté ces lieux de prière et de recueillement. Non pas que j’ai quelque crainte que le père du ciel m’en veuille d’une trop longue absence, mais simplement car j’apprécie grandement la quiétude et le grandiose de ces lieux. En un sens, j’ai toujours détesté le côté éducatif qui régna autour de ce monde. Mon enfance, pavée de séances de catéchisme et autres passages barbant, ne m’en avaient pas laissé un souvenir très agréable. Paradoxalement, j’aimais à profiter de ces lieux, dont l’abandon du culte sous-jacent et progressif de notre monde, se faisait à présent le garant d’une certaine tranquillité, pourvu que l’on se donna la peine de pousser les lourdes portes du sanctuaire.
Je me demande si mes enfants ont vécu une forme de manque de ne pas avoir été éduqués dans cette voie. Il ne me le semble pas, mais comment le saurais-je savoir, puisqu’il est difficile, par essence, de prendre conscience d’une chose qui se caractérise par son absence. Décidément, le rythme des pas de ma chère change-pot me plonge dans des divagations dont je n’avais pas idée.
A présent, elle a apporté sa chaise devant l’autel, afin de mettre en place des pots de taille plus modeste sur l’avant de l’imposant promontoire. Je constate avec un sourire narquois et sans doute un peu d’amusement dans le regard que cette brave femme, avant de mettre pieds sur sa chaise, se fend d’un salut, genou à terre, vers le sacro-saint grand patron.
Je n’ai jamais réussi à me prononcer sur l’existence ou non du dit patron. Je crois qu’en un sens, je trouve absurde tout ce qui lui est attribué, en particulier en ce qui concerne justement nos courbettes. Soyons honnêtes : si vous êtes une entité dont le savoir et l’essence sont illimités, qu’est-ce que cela peut bien vous faire que des créatures, qui font caca tous les jours et peuvent mourir en s’étouffant avec un os de poulet, vous saluent, et vous disent que vous êtes le plus fort? Mais je dois avouer que je trouve cela triste d’imaginer qu’il n’ y a rien et que nous sommes seuls. Donc j’imagine une « chose », des fois vieillard, des fois dame nature, des fois esprits, selon l’humeur.
Cela me rappelle la question du Baptême. Je doute que ma fille mettra en branle toute cette intempérie religieuse pour son enfant à naître. C’est amusant cela. Elle nous l’a annoncé à un repas de famille, et les félicitations ont fusé de toute part. Je ne me souviens pas que j’ai songé, ni ma femme non plus, que le fait de s’adonner aux plaisirs de la chair (engendrant potentiellement un rejeton) soit une chose qui m’inspira d’en être félicité. Je puis tout à fait comprendre les félicitations à la nouvelle mère lorsqu’elle est parvenue à expulser le parasite de son abdomen, la chose tenant du marathon physiologique, mais le fait d’être enceinte?
La dame a fini son office : elle referme consciencieusement la petite barrière bloquant l’accès à l’autel, remet en place les coussins pourpres de décoration, et range son matériel. Quelques visiteurs viennent contempler la décoration, mais fuient rapidement le lieu, poussés par l’appel d’endroits plus palpitants, ou par l’atmosphère emplie d’ondes nerveuses qui se dégagent de moi à leur présence.
C’est une activité bien étrange que de venir s’asseoir ici, et de diriger ses pensées vers les questionnements et doutes qui nous habitent, avec pour miroir de ces-derniers, une incarnation fantasmagorique d’une puissance créatrice. C’est un exercice que je trouve agréable. Après tout, y-a-t-il une différence notable entre le fait de dialoguer à voix haute avec une personne qui ne saisit pas vos tourments, ou à voix intérieure avec une personne qui n’est pas là, mais sait tout de vous et des mystères du monde? Cette activité réflexive m’a plus d’une fois permis de démêler le vrai du faux, le bien du mal, le logique de l’illogique et surtout, de prendre une distance de recul suffisamment confortable pour appliquer à mes propres faits l’objectivité que je me targue de pourchasser en tout lieu.
Brusquant une fois encore le cérémonieux silence du lieu, je provoque un grincement de banc en me relevant. Goûtant chaque pas apposé sur le sol de vieilles pierres, j’admire l’orgue qui fait face à l’autel, puis opère un joli virage vers la sortie et l’aveuglante lueur de l’astre du jour. Il est 14h15, et je n’ai pas très faim.

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